Par trois arrêts de la Cour de cassation en date du 30 juin 2022, les moyens soulevés par les preneurs pour échapper aux loyers « Covid » ont été rejetés.

La force majeure, au motif que le locataire, débiteur des loyers, n’était pas fondé à l’invoquer à son profit.

La perte de la chose louée, aux motifs que l’interdiction de recevoir du public avait été décidée aux seules fins de garantir la santé publique et que l’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du Code civil.

L’obligation de délivrance, au motif que l’effet de la mesure générale et temporaire ne peut être imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance.

Certains conseils des preneurs, sans abandonner les moyens qui avaient été rejetés par ces arrêts ont, le cas échéant, soulevé la clause de suspension des loyers en cas de circonstances exceptionnelles et graves.

Par trois arrêts du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a rejeté l’application de cette clause dans le contexte de la crise sanitaire (n° 22-12.753, n° 21-21.867, n° 22-13.773).

I. Motivation de la Cour de cassation

Les clauses soumises à la Haute Cour prévoyaient la suspension du versement des loyers dans le cas où la non sous-location du bien résulterait soit du fait ou d’une faute du bailleur, soit de la survenance de désordres de nature décennale ou de circonstances exceptionnelles et graves (telles qu’incendie de l’immeuble, etc) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale.

Pour rappel, l’article 1190 du Code civil énonce que « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ». Et l’article 1192 du même code précise qu’ « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ».

En l’espèce, la Cour de cassation a jugé que la clause était suffisamment précise pour rejeter toute interprétation favorable au locataire.

Pour ensuite reprendre les solutions tirées des trois arrêts du 22 juin 2022 et les appliquer à la clause de suspension.

En effet la Haute Cour ayant jugé que l’interdiction de recevoir du public avait été décidé aux seules fins de garantir la santé publique, qu’elle ne pouvait être imputable aux bailleurs et que les effets de cette mesure générale et temporaire étaient sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, alors elle ne pouvait juger que la clause de suspension devait s’appliquer à défaut de circonstances exceptionnelles et graves affectant intrinsèquement le bien lui-même ou de circonstances imputables aux bailleurs.

On peut légitimement se demander si ces trois nouveaux arrêts hostiles aux preneurs invalident définitivement toute tentative de faire appliquer aux loyers covid les clauses contractuelles de suspension des loyers en cas de survenance de circonstances exceptionnelles et graves.

II. Perspectives

A. Interprétation des arrêts du 22 novembre 2022

Il apparait indispensable à l’avenir que les conseils des preneurs prennent en compte dans la rédaction des baux ou de leurs avenants les conséquences de crises sanitaires ou climatiques par des clauses claires et précises de suspension univoque des loyers.

Cependant, les arrêts du 22 novembre 2022 n’invalident pas toute clause de suspension des loyers puisque la solution retenue résulte du fait que les clauses en question ont été considérées comme rattachant clairement et précisément les événements susceptibles de suspendre les loyers au bien lui-même et non à l’exploitation.

Par un arrêt en date du 2 mai 2023, la 1ère chambre civile de la Cour d’Appel de Chambéry a jugé que la clause particulière du contrat qui prévoit « de convention expresse entre les parties, le règlement du loyer sera suspendu en cas de force majeure interrompant l’activité touristique ( tels que tremblement de terre, catastrophes naturelles, état de guerre ou de siège, grève générale, incendie de l’immeuble » est dans sa teneur différente de celles examinées par la jurisprudence de la Cour de cassation lors des arrêts du 23 novembre 2022.

De ce fait, la Cour d’Appel de Chambéry saisie sur une instance en référé a très justement considéré que cette clause implique une interprétation par les juges du fond.

Cette solution, qui n’est pas contradictoire avec les jurisprudences du 22 novembre 2022, confirme que la clause de suspension ne peut jouer que si les effets des circonstances exceptionnelles ne sont pas attachés au bien lieu-même.

Il sera très intéressant de connaitre les suites de cet arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry.

Certaines clauses de suspension des loyers peuvent également avoir prévues que « dans le cas où, après la date de livraison, le Preneur se verrait privé de la jouissance effective et normale des immeubles désignés en tête du présent bail pour une raison ne relevant pas de son fait (désordres de nature décennale, circonstances exceptionnelles et grave, etc.), le loyer défini ci-avant serait suspendu jusqu’à expiration du mois au cours duquel le trouble de jouissance aura pris fin. »

Ces clauses, tout comme celle ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’Appel précité, ne semblent pas rattacher les effets de l’évènement au bien entendu intrinsèquement, dans sa substance, mais au contraire à la jouissance effective et normale de celui-ci. Ce qui doit être atteint ce n’est pas le bien lui-même mais sa jouissance.

De plus, contrairement aux clauses étudiées dans les arrêts du 22 novembre 2022, aucun exemple n’est donné de circonstances exceptionnelles et graves puisque ces dernières sont ici un exemple de motif de suspension ne relevant pas du fait du preneur.

Plusieurs instances sont en cours et devraient dans les prochains mois infirmer ou confirmer notre analyse. Il serait donc précipité de penser que les procédures relatives aux loyers « « covid » ont épuisé les moyens de défense des preneurs.

B. L’imprévision

La Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée dans le cadre de la crise sanitaire sur l’application de l’imprévision.

Pour rappel, l’article 1195 du Code civil énonce que

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Il convient à titre liminaire de préciser que ce moyen ne pourra être soulevé que pour les contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016.

Ces contrats ne devront pas stipuler de clause de suspension des loyers pour circonstances exceptionnelles et graves puisqu’il s’inférerait de cette clause que les parties avaient prévues ces circonstances.

Deux conditions d’application de l’article 1195 du Code civil font douter d’une efficacité de ce texte dans le contexte de la crise sanitaire.

Premièrement, l’exécution du contrat doit avoir été rendue excessivement onéreuse. Un jugement du Tribunal Judiciaire de Paris a rejeté ce moyen au motif que les loyers sont restés les mêmes (TJ Paris 11 décembre 2020, n°2020/035120).

A contrario, les autres obligations contractuelles telles que des travaux à la charge du preneur pourraient être traitées différemment dans le contexte de la guerre en Ukraine, ayant entraîné une augmentation générale du coût de la main d’œuvre et des matières premières.

Deuxièmement, le locataire doit en principe continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation et pendant la procédure judiciaire subséquente, ce qui n’a pas été le cas des preneurs qui ont majoritairement suspendus le paiement des loyers (TJ Strasbourg 19 février 2021, n°20/00552).

Les tribunaux ne se sont toutefois pas encore prononcés sur la sanction attachée à la suspension de l’obligation.

Les loyers Covid n’ont pas fini de mettre à l’épreuve la créativité juridique des conseils…