Par trois arrêts du 30 juin 2022 (n°21-20190 ; 21.20127 et 21.19889) la 3ème Chambre de la Cour de Cassation a rejeté les trois principaux moyens développés par les locataires pour s'opposer au paiement des loyers des commerces considérés comme « non essentiels », en dépit de la fermeture ordonnée par les pouvoirs publics.

Ces décisions, si elles sont compréhensibles d'un point de vue économique (45% des commerces de détails fermés, 3 milliards de dette locative selon une note du ministère de l'économie), ne sont pas dénuées de critiques au plan du droit.

I. Réponses apportées aux contestations opposées à la demande de paiement des loyers

Rappelons qu'en l'absence de dispositions spécifiques aux baux commerciaux, les locataires ont dû rechercher les ressources offertes par le droit commun du contrat de louage d'ouvrage :

  • La perte de la chose louée,
  • L'obligation de délivrance du bailleur avec pour corolaire l'exception d'inexécution
  • La force majeure

Les juges du fond étaient partagés mais admettaient assez largement la perte de la chose louée au sens fonctionnel ou économique. La Cour de Cassation a entendu uniformiser la jurisprudence.

1 / La perte de la chose louée (article 1722 du code civil)

Pour écarter la perte de la chose louée, la Cour de Cassation retient que l'interdiction d'accueil au public était « temporaire » et « sans lien direct avec la destination contractuelle du local ».

Cette motivation ne peut que surprendre dès lors que :

  • C'est bien la destination des lieux qui a déterminé l'application de la mesure générale d'ouverture au public ;
  • Le caractère limité de la perte n'a jamais fait obstacle à l'application de l'article 1722 selon une jurisprudence ancienne. Ainsi, dans un arrêt du 29 novembre 1965, la première chambre civile de la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé par le bailleur contre la décision qui avait jugé que le preneur dans l'impossibilité́ d'utiliser la chose louée « "pendant une certaine période » pouvait, sur le fondement de l'article 1722 du code civil, exiger du bailleur le remboursement d'une partie du prix de la location (Bull. civ. I, n° 655).

De même, la Cour de Cassation a jugé que l'arrêt, par cas fortuit, de la fourniture d'eau constitue une perte partielle justifiant une diminution du prix (Cass. 3e civ., 17 juin 1980 : Bull. civ. 1980, III, n° 116)

2/ L'obligation de délivrance (article 1719 du code civil)

La Cour de Cassation rejette l'argument au motif que l'impossibilité d'exploiter n'était pas le fait du bailleur mais celui du législateur, privant ainsi les preneurs de la possibilité d'invoquer le principe d'exception d'inexécution.

Or, nombre de décisions ont pourtant admis que le bailleur est garant de l'usage paisible des lieux tout au long du bail conformément aux normes en vigueur, sauf stipulation expresse contraire du bail.

3/ La force majeure (article 1218 du Code Civil)

La Haute Cour, écarte ce fondement. On ne s'y attardera pas car ce moyen s'avérait en tout état de cause moins efficace pour le preneur qui ne pouvait lui permettre que d'obtenir un report de la dette de loyers et non pas une annulation pure et simple au regard de l'impossibilité provisoire d'exploiter.

II. Est-ce à dire que le débat judiciaire est définitivement clos ?

Probablement pas. Il faut tout d'abord relativiser la portée ces arrêts étant rappelé que les décisions ne portent que sur le premier confinement , la Haute Cour ne s'étant pas encore prononcée sur les autres vagues.

En outre, il n'est pas exclu que certaines juridictions puissent résister à la position exprimée par la Cour de Cassation dans des litiges dont les circonstances ne sont pas identiques.

Dans les affaires soumises à la censure de la Cour de Cassation, la bonne ou mauvaise foi des parties a en effet été relevée lorsque le bailleur avait offert de reporter le paiement du loyer et avait fait preuve de patience avant d'assigner.

La cour d'appel de Paris a ainsi rappelé que « Les contrats devant être exécutés de bonne foi selon l'article 1134 devenu 1104 du code civil, les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles et graves de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives ».

Il ne faut pas enfin perdre de vue que tous les moyens à la disposition des preneurs n'ont pas encore été tranchés.

Ainsi en est-il :

  • Des cas où les baux contiennent une disposition prévoyant la suspension des loyers en cas de circonstances graves et légitimes ;
  • De l'imprévision pour les baux conclus antérieurement à la réforme du droit des obligations de 2016 ;
  • De l'article 1131 du Code Civil pour les baux antérieurs à la réforme de 2016 comme fondement à une action en diminutiondu prix du loyer au regard de l'absence de cause à l'obligation de paiement.

Ces moyens pourraient permettre d'envisager si ce n'est l'annulation totale de la dette pendant la période d'inexploitation, au moins une réduction de loyers.